Après des années de labeur acharné à penser stratégie de carrière, de plus en plus de salariés assument leur désir de lever le pied : la valeur travail prônée par Emmanuel Macron semble en pleine dégringolade. Atteindre le sommet est-il encore signe de réussite ?
Plus tu grimpes les échelons, plus tu t’éloignes du job que tu aimes. Après cinq années de travail assidu dans une boîte de communication, le n+1 de Sophie, 29 ans, lui a proposé un job de manager. Au lieu de la flatter, cette offre l’a plongée dans une angoisse intense : “Paniquée, j’ai vite compris que ce poste ne me correspondait pas. Malgré la carotte de l’augmentation, j’ai décliné. La fille qui a eu l’emploi ne fait que gérer de la paperasse et des querelles d’ego… Je ne regrette pas mon choix, je suis très bien là où je suis. ”
Sophie n’est pas un cas à part. Cette année, l’Insee a interrogé un panel de Français sur les critères d’une vie réussie. Et seulement 15 % ont coché avoir une belle carrière professionnelle parmi leurs priorités. Le concept a du plomb dans l’aile.
Un contrat ici ou là
Alors pourquoi la promotion, cet ancien Graal, ne fait plus rêver ? Luc Tardieu, du cabinet de conseil en stratégie et management Julhiet Sterwen explique cette situation par un changement de deal social. Il y a quelques années, le deal salarié-entreprise se résumait par “loyauté contre protection” : je reste longtemps dans l’entreprise et elle me garantit avancement et stabilité. On est passés aujourd’hui au deal, plus contractuel, de “performance contre fluidité du marché”. L’ambition à l’ancienne, qui consistait à gravir les échelons un à un, a été remplacée par une ambition plus “pragmatique” : je vais travailler dans plusieurs entreprises au cours de ma vie et c’est comme ça que je vais avancer. Quitte à ne pas décrocher le poste le plus élevé. Après tout, pourquoi se fouler pour une boîte qui peut vous virer du jour au lendemain ? Qu’il y soit contraint ou pas, un salarié français, toutes catégories confondues (des actifs sans formation, aux bac+6), changera en moyenne 4,5 fois d’employeur au cours de sa carrière, selon l’Insee, contre 1,5 fois dans les années 1970.
Travailler comme un homme
En première ligne de cette tendance “no ambition”, les femmes. Pour briser un plafond de verre encore bien épais et avoir une chance de rivaliser avec les hommes, beaucoup de “working girls” ont fait des sacrifices et se sont construites avec des “success stories en tête” : Sheryl Sandberg, directrice opérationnelle de Facebook ou Marissa Mayer, ex-PDG de Yahoo !, érigées dans les médias comme des modèles à suivre.
Il faut tout avoir comme disent les Américains : le titre qui en jette sur la carte de visite, les enfants et la jolie maison qui va bien. Être épanouie dans sa vie privée et dans sa vie pro. Oui, mais à quel prix ? Pas simple quand on travaille quarante heures, que le conjoint n’a toujours pas compris comment fonctionnait le lave-vaisselle et que le prix des nounous flambe. Ce n’est qu’une injonction de plus pour un contrat qui est de toute façon impossible à remplir pour la plupart des femmes, avance Luc Tardieu. Beaucoup de salariées sont dans un rapport très réaliste au travail, qui consiste à dire : “Je ne veux pas avoir cette ambition-là, car je sais ce que ça va me coûter.” C’est une forme d’autocensure rationnelle.
Mère au foyer et féministe
Sarah a travaillé 10 ans dans le consulting financier. À 36 ans, elle a repoussé ses projets de grossesse plusieurs fois pour s’adapter à un emploi du temps pro très chargé. Alors, le jour où elle entre dans le bureau de son patron pour lui annoncer qu’elle est enceinte, la mine déconfite de celui-ci la décide à tout envoyer valser. Il m’a répondu que ce n’était “pas vraiment le bon moment” avec un ton culpabilisant, alors que j’avais travaillé de 9 heures à 20 heures tous les jours pendant toutes ces années. Ça m’a dégoûtée. J’ai demandé une rupture conventionnelle. Aujourd’hui, je suis au chômage, mais ça faisait longtemps que je n’avais pas été aussi sereine.
Dans une société où être débordée est encore la norme, renoncer à faire carrière peut être mal perçu. Camille, 42 ans, se souvient encore des réflexions qu’elle a essuyées le jour où elle a quitté un job de rêve dans une grande agence de pub pour prendre le temps d’élever ses enfants et de se lancer en freelance. Une de mes amies m’a accusée de faire un pas en arrière pour la cause des femmes. On m’a montrée du doigt, parce que j’ai eu envie de gérer mon temps autrement qu’en travaillant tard tous les soirs sans voir mes filles grandir. Pourtant, quoi de plus féministe que de ne plus subir une situation qui vous rend malheureuse et de prendre sa vie en main ? Pas sûr que les fans du fameux “travailler plus pour gagner plus apprécient”.
2 signes qui prouvent que vous travaillez trop
1- Le matin, vous êtes la première arrivée et la dernière partie. C’est même vous qui éteignez les lumières.
2- Vous avez refusé tous les arrêts-maladies proposés par votre médecin ces deux dernières années. Non mais le burn-out, c’est un concept, tu vois.